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17 h 10
Dark retourna à sa chambre d’hôtel et alla dans la salle de bains. Il referma la porte et éteignit la lumière. En l’absence de fenêtre, l’endroit était à peine éclairé.
Dark n’avait guère de temps : ses supérieurs demanderaient bientôt à Constance où elle en était avec cette histoire de carte de crédit, et Wycoff finirait par obtenir l’adresse.
Or ce type n’avait aucun intérêt à sauver Sibby, même si une opération de sauvetage lui aurait permis de briller dans les médias. Il n’en était plus là : il voulait que le maître-chanteur soit anéanti, ainsi que tous ceux qui le savaient coupable d’un détournement de mineure.
Notamment Dark et Sibby.
Il entendait déjà les hélicos survoler le ciel dans le crépuscule. Ils attendaient qu’on leur donne l’info. Dark devait les devancer. Constance et Riggins ne pourraient plus les retarder bien longtemps.
Dark abandonna à un coin de la rue Vista del Mar la voiture qu’il avait volée – une guimbarde que personne ne regretterait.
Il n’y avait guère de maisons individuelles sur cette portion de la rue Yucca. Beaucoup d’immeubles et de lofts, tous dans les environs du célèbre bâtiment de Capitol Records. Les musiciens du quartier devaient sans doute jeter régulièrement un œil sur ce totem, ne serait-ce que pour garder espoir en leurs chances de percer.
Et Sqweegel, qui était-il ? Un musicien raté ? Un suppôt de Charles Manson ? Sa petite comptine angoissante laissait penser qu’il avait plus ou moins l’oreille musicale.
Non, Sqweegel n’aspirait pas à la célébrité. Il exprimait quelque chose qui allait au-delà des désirs et préoccupations triviales du commun des mortels. C’était une affaire divine. Sqweegel donnait une leçon à l’humanité, un cadavre après l’autre.
Dark pouvait-il voir là une autre parabole ?
La maison du 6206 était isolée. Ses murs bleu ciel avaient besoin d’un bon coup de peinture. Pas de voiture devant. Pas de lumière aux fenêtres.
Dark enjamba la petite grille en fer forgé et traversa rapidement la pelouse jaunie, se baissant dès qu’il parvint devant des soupiraux donnant sur le sous-sol. Il tendit l’oreille. Pas le moindre bruit en dehors de la rumeur de la ville.
Le soupirail était muni d’une vitre. Dark réprima l’envie de la briser, de soulever le loquet et de foncer.
Non. Il fallait jouer au plus fin. Comme le monstre l’aurait fait.
Dark sortit le coupe-verre de la petite trousse qu’il portait à sa ceinture, appliqua la ventouse et découpa la vitre. Il passa la main à l’intérieur et déverrouilla le loquet rouillé. La fenêtre se rabattit. Dark se glissa dans la maison.
Le sol en ciment était recouvert de déjections d’animaux. Il y avait des toiles d’araignées dans les coins. À l’étage, même spectacle, avec, en plus, un tas de prospectus publicitaires en vrac derrière la porte d’entrée.
La cuisine : rien d’autre qu’un réfrigérateur qui empestait. Un carton de sel. Un sécateur.
Le salon était vide, hormis une bibliothèque où des livres bien rangés prenaient la poussière. Un simple regard suffit à Dark pour voir que le plus récent datait des années soixante-dix. Mais l’un des volumes attira son attention parce qu’il dépassait légèrement.
Pécheurs et Sadiques : l’édition bon marché était une compilation des plus célèbres crimes de l’histoire. Une lecture malsaine pour des esprits malsains. Dark souffla sur la poussière et l’ouvrit : une page était cornée. Elle concernait Lizzie Borden, une femme qui avait été accusée au début du XXe siècle – mais jamais condamnée – d’avoir découpé son père et sa belle-mère en morceaux avec une hache.
Tout dans cette mise en scène, ce livre qui dépassait jusqu’à la page cornée et la bibliothèque elle-même, était trop bizarre pour n’être qu’une coïncidence.
Qu’est-ce que Sqweegel essayait de lui dire ? Jamais il ne s’était montré aussi direct. C’était comme un meurtrier en série qui laisse derrière lui un bouquin de Sade !
Dark continua d’inspecter les lieux.
Placards, salle de bains, chambres… Rien. Pas le moindre signe d’occupation ou de vie, excepté un lit à une place à l’étage. Il n’y avait pas le moindre mobilier. À quoi servait cette maison ?
Pense comme lui. Habiterais-tu quelque part au vu de tout le monde ? Ou bien utiliserais-tu cette maison pour t’entraîner à te glisser dans de minuscules cachettes ?
Oui. Peut-être.
Dark entreprit d’inspecter le moindre endroit muni de charnières ou pouvant être ouvert. Il ne se fierait à rien tant qu’il n’y aurait pas regardé de plus près. Aucun espace ne pouvait être considéré comme trop étroit.
Toujours rien. Pas le moindre signe d’une présence.
Il entendit les hélicos qui se rapprochaient. Constance n’avait pas réussi à les retenir plus longtemps…
Il retourna à l’étage, dans la chambre du fond, revoir l’unique indice. Le lit à une place. Pour un enfant ? Dark caressa du bout des doigts le drap élimé qui recouvrait le matelas. À première vue, pas de tache, ni de cheveu, ni de poil. Il se baissa pour regarder dessous.
Il aperçut alors un petit morceau de parchemin beige enroulé et attaché par un ruban rose, posé sur le dessus d’un livre. Il songea à la patience qu’il avait fallu pour fabriquer un si joli objet et le cacher dans un endroit aussi hideux.
Une telle malignité exigeait l’habileté d’un artiste. Dark se rendit compte qu’il n’était rien de plus qu’un élément au sein d’un grand spectacle, l’équivalent d’une note dont la raison d’être ne peut être déduite que de celles qui l’entourent, le tout contribuant à un terrifiant crescendo issu d’une centaine d’instruments, jouant chacun une mélodie unique composée de notes infimes. Infimes, jusqu’à ce qu’elles aient été arrangées par un virtuose.
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